CE QUI DISTINGUE NOTRE PARTI: La ligne qui va de Marx à Lénin, à la fondation de l'Internationale Communiste et du Parti Communiste d'Italie (Livorno, 1921), à la lutte de la Gauche Communiste contre la dégénerescence de l?Internationale, contre la théorie du "socialisme dans un seul pays" e la contre-révolution stalinienne, et au refus des froints populaires et des blcs partisans et nationaux; la dure uvre de restauration de la doctrine et de l'organe révolutionnaires au contact de la classe ouvrière, en dehors de la politique personnelle et électoraliste.


Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, notre Parti prévoyait un long cycle d’accumulation capitaliste, en indiquant dans sa clôture la condition d’une reprise de la lutte de classe prolétarienne. Cependant tandis que dans l’Occident endormi par la contre-révolution stalinienne, l’histoire se ralentissait, l’Orient bouillonnait de vitalité révolutionnaire. Ceci explique pourquoi dans les années 1950 notre Parti a consacré à la restauration de la théorie marxiste dans les questions nationale et agraire, et à l’interprétation des bouleversements en cours de réalisation dans le « Tiers Monde », une longue série de Réunions Générales.

Pour le marxisme, la destruction des rapports coloniaux n’est pas seulement une prémisse objective du communisme ; la lutte politique pour la révolution nationale-bourgeoise déblaie le terrain pour la lutte de classe prolétarienne. C’est pourquoi la lutte pour les revendications bourgeoises et le « bloc des classes » qui se constitue sur sa base ont une légitimité révolutionnaire dans des aires et des périodes historiques exactement délimitées par la théorie.

Mais c’est une erreur banale, que commettent symétriquement le frontisme et l’indifférentisme, de conclure du caractère capitaliste de la lutte la subordination du Parti à l’idéologie et au programme bourgeois : le prolétariat participe à la lutte sous sa propre bannière, et il n’hésite pas à proclamer que le capitalisme est son ennemi même lorsqu’il l’aide à naître avec toute sa violence de classe. S’il n’en allait pas ainsi, le Manifeste de 1848 et la perspective marxiste de la révolution « double » ou « en permanence », qui date de la même époque, deviendraient d’obscurs hiéroglyphes.

 

Le but du premier Rapport présenté à la Réunion Générale était de faire le point sur la question pour établir approximativement où en est arrivé ce mouvement historique dans le « Tiers Monde », aujourd’hui que nous envisageons comme proche une reprise de la lutte de classe prolétarienne et qu’il nous intéresse particulièrement de préciser quelles forces pèsent sur la balance de la révolution communiste.

Il s’agissait en outre d’évaluer d’une façon plus systématique les caractères que devra prendre la lutte prolétarienne dans les différentes régions du monde, l’héritage qu’y a laissé la bourgeoisie, et dans quelle mesure la révolution bourgeoise des dernières décennies a, ou n’a pas, débarrassé le terrain devant la lutte prolétarienne. Mais avant de faire ce bilan, il était important, au moment où nous affirmons que le cycle révolutionnaire bourgeois du Tiers Monde est en train de se clore, de revenir sur les notions marxistes d’aire géographique et de cycle historique, et on ne pouvait le faire qu’en puisant dans l’expérience du mouvement ouvrier du siècle dernier les critères qui permettent de juger qu’une phase est sur le point de se terminer, qu’un cycle historique est sur le point de se clore.

 

Cycle du capitalisme et aires géographiques

L’idée d’un cycle du capitalisme est familière au marxisme. En se fondant sur un texte comme « Il ciclo dell’economia capitalistica e il ciclo storico del dominio politico della borghesia », et en l’illustrant par l’exemple des grandes révolutions anglaise, américaine et européenne, le rapporteur s’est efforcé de mettre en évidence que dans une première phase, révolutionnaire, se produisent des révolutions dont l’intérêt social est de détruire, grâce à la conquête du pouvoir d’Etat, les anciens rapports juridiques  qui s’opposent au développement des forces productives modernes. Alors s’ouvre une phase de plein développement capitaliste, qui conduit à une troisième phase où, tandis qu’éclatent les guerres impérialistes, la société est obligée le briser les rapports capitalistes pour avancer sur sa propre voie. Ceci signifie-t-il que l’Europe et l’Amérique ayant désormais atteint la phase sénile du cycle capitaliste, le tissu social de tous les continents est entré en putréfaction et que les tâches immédiates à accomplir sont partout des tâches anticapitalistes et communistes ?

Au début du XXème siècle déjà, donner une réponse affirmative à cette question équivalait à nier le caractère capitaliste-bourgeois de la Révolution russe, lequel était affirmé par les bolchéviks, même si le prolétariat était la seule classe capable de les accomplir.

En réalité, c’est seulement à la charnière entre le XIXème et le XXème siècle que la pénétration des rapports capitalistes a commencé à provoquer des révolutions capitalistes en dehors de l’aire euro-américaine. Ceci dit, il serait absurde d’imaginer quels autres continents devraient parcourir le même chemin que l’Europe, ne serait-ce que parce que, en arrivant au capitalisme à l’heure de l’impérialisme, les jeunes capitalismes doivent adopter dès le début les méthodes économiques, militaires et politiques les plus modernes, ce qui les oblige ne serait-ce qu’à parcourir à marches forcées les étapes du développement capitaliste. Une étude comparée des cycles euro-américain et du « Tiers Monde » , dans laquelle le Rapport s’est efforcé de s’en tenir seulement aux critères qui permettent d’évaluer le degré de maturité capitaliste dans les différentes aires géographiques, a permis de mettre en évidence l’approche de la fin de la transformation révolutionnaire réalisée par le capitalisme, globalement terminée en Amérique Latine, plus avancée dans le Moyen Orient (Maghreb compris) que dans le reste de l’Asie, et encore largement en retard dans l’«Afrique Noire ».

Le Rapport a souligné le mouvement contradictoire de ce phénomène, qui présente des caractères plus avancés en même temps que d’autres passablement retardataires par rapport à une Europe comparable pour ce qui est de l’âge capitaliste. Surtout, dans le « Tiers Monde » le capitalisme s’accompagne – plus faiblement dans les vastes marchés nationaux comme la Chine et surtout dans les régions les plus écrasées par les rapports impérialistes -- d’un phénomène de marginalisation économique. Les problèmes soulevés par ce phénomène ne peuvent être résolus en recourant à l’illusion d’un passage par toutes les étapes d’un développement capitaliste pur, et encore moins à la chimère de l’indépendance économique, mais seulement par la révolution communiste mondiale, qui mettra en commun toutes les ressources de la planète et qui les utilisera selon un plan mondial unique.

 

Cycle révolutionnaire bourgeois d’hier et d’aujourd’hui

Le Rapport a ensuite souligné l’écart entre le cycle capitaliste déterminé par les tâches bourgeoises elles-mêmes, et le cycle politique de la bourgeoisie, qui dépend de la capacité de celle-ci de mener à bien ces tâches. Or cette capacité se mesure sur le terrain d’une lutte de classe suscitée par les rapports entre toutes les classes et non à l’échelle de certains pays pris en particulier, mais de vastes aires géographiques, et par les rapports entre ces mêmes aires ; et ce dans de grandes périodes historiques et non dans le détail de tel ou tel événement , comme cela a été rappelé d‘après des textes classiques du marxisme, qui ont aussi permis d’insister sur le fait que les limites entre les phases et les aires considérées ne sont nullement absolues et rigides, mais relatives et mobiles.

En étudiant le cycle révolutionnaire bourgeois dans l’aire de l’Europe occidentale entre 1789 et 1871, on a pu mettre en évidence, sur la base de nos textes fondamentaux, l’unification politique d’une aire géographique donnée, due à un alignement général des forces dans le heurt entre toutes les classes de cette aire, en rapport avec des rapports internationaux donnés. En appliquant ce critère aux événements qui depuis plus d’un siècle bouleversent le « Tiers Monde », on a pu définir une aire géographique unique, proche de l’Amérique Latine et de l’Afrique Noire, qui forment des aires spécifiques, bien que non refermées sur elles-mêmes, dans l’ensemble des régions qui vont de la Corée au Maghreb.

Cette aire s’unifie par vagues successives : celle ayant débuté en 1905, et s’étant renforcée en 1917, a vu son élan brisé par la défaite des prolétaires et des paysans chinois  en 1926-27 ; puis celle du second après-guerre, qui s’est développée  à partir de l’épicentre chinois, que nous avons appelée  « phase éruptive de la révolution anticoloniale », et durant laquelle le prolétariat a été chassé de la scène de l’histoire, tandis que la bourgeoisie, comme en Europe  après 1848, peut aller jusqu’à l’extrême limite de sa capacité historique.

Après avoir précisé les grandes aires géographiques, le Rapport a dû affronter le problème ardu de la délimitation des phases historiques. On a appliqué la même méthode qu’auparavant, en tenant compte du fait que les grandes périodes sont, pour le marxisme, déterminées par de grands événements historiques, comme des guerres ou des révolutions.

L’étude de l’aire euro-américaine met en lumière le poids qu’ont eu les luttes de classe en France, c’est-à-dire dans un pays où la révolution bourgeoise « est venue au bon moment », tandis que dans les pays où elle est arrivée en retard, comme en Allemagne, la bourgeoisie, déjà épouvantée par la conséquence de sa propre révolution, c’est-à-dire par l’émergence du prolétariat, devait donner un exemple éclatant de sa propre lâcheté historique. En parfaite cohérence avec Lénine, notre Parti a montré que dans l’aire asiatique, la révolution chinoise est venue elle aussi au bon moment, ce qui s’est reproduit, à l’autre extrémité de la même aire, dans la révolution algérienne. Il est donc du plus grand intérêt de considérer pour le XXème siècle avant tout l’attitude de la bourgeoisie chinoise. On a comparé l’actuelle convergence des ennemis des trente dernières années, c’est-à-dire la bourgeoisie chinoise et l’impérialisme américain, d’une part et, de l’autre, la convergence à la fin du siècle dernier entre la bourgeoisie française et le tsarisme, dans laquelle Engels voyait déjà un symptôme certain du déclin, non seulement de la bourgeoisie française, mais, plus généralement, de la bourgeoisie européenne.

Surtout, le Rapport a mis en lumière, à partir des textes d’Engels (en particulier, lettres à Lafargue, 8 et 29 octobre 1889), le phénomène de l’unification politique de la bourgeoisie, de sa « domination en tant que classe ». Il s’agit sans aucun doute du critère le plus sûr qui permette d’affirmer que la bourgeoisie a cessé d’être une classe ascendante et que le prolétariat est désormais la seule classe capable de faire avancer l’histoire.  Des phénomènes de ce genre ont déjà été reconnus par notre Parti, au cours des dernières années, tant dans le croisement des formes démocratiques et militaro-dictatoriales en Amérique Latine, que récemment dans le Maghreb, bien que sous des formes différentes de celles qui étaient propres à la fin du XIXème siècle européen, étant donnée la rapide importation, aujourd’hui, des méthodes modernes de gouvernement, et en particulier de parti unique.

La constatation empirique de la clôture du cycle révolutionnaire bourgeois obligeait à donner une explication au raccourcissement constaté des cycles historiques. Ce phénomène repose naturellement sur le fait que le capitalisme parcourt ses étapes  à marches forcées, mais également sur la modification des alignements des forces internationales : en effet si le plus dur ennemi des bourgeoisies au siècle dernier était le féodalisme, les révolutions du XXème siècle ont trouvé face à elles comme ennemi le plus important l’impérialisme, ennemi politique et concurrent économique plutôt qu’ennemi social, même quand il s’appuie sur les forces pré-bourgeoises contre les mouvements anti-impérialistes.

La domination impérialiste a souvent construit des États en avance sur la maturité politique des bourgeoisies locales, à cause des besoins généraux de l’accumulation. Ceci a été indubitablement un facteur de tarissement plus rapide des capacités progressistes des bourgeoisies, même dans leurs fractions les plus extrémistes, celles de la petite-bourgeoisie. Surtout il est clair que face au danger du radicalisme  des masses, la complicité sociale qui s’était déjà manifestée au siècle précédent entre la bourgeoisie et la noblesse en tant que classes dominantes, bien que socialement ennemies, devait faire des pas de géant entre les jeunes bourgeoisies et l’impérialisme, sans les contraindre à capituler socialement – phénomène qui s’est d’ailleurs manifesté également dans les révolutions les plus radicales, comme les révolutions chinoise ou algérienne. Lénine prévoyait que les bourgeoisies du « Tiers Monde » seraient plus hardies que la révolution russe. Elles l’ont été en réalité, mais, nous devons l’ajouter, à la manière de bourgeoisies qui, à l’échelle mondiale, étaient arrivées historiquement en retard.

 

Bilan des révolutions anticoloniales

Cette revue historique a permis de montrer que nous sommes entrés, sauf en ce qui concerne l’Afrique Noire, dans une phase de consolidation bourgeoise, une phase intermédiaire dans laquelle les bourgeoisies épurent les restes éventuels de leurs capacités progressistes, en attendant que le prolétariat soit capable de prendre en main son destin pour aller de l’avant. Il est important de ne pas confondre la fin de la phase révolutionnaire de « réveil de l’Asie », qui correspond à la fin de la « vague du deuxième après-guerre », avec un autre cycle, celui de la « prospérité capitaliste » d’après-guerre, même si ces deux cycles se terminent en même temps.

Il était donc intéressant de considérer le résultat de ces révolutions.  En dépit et à la honte de l’indifférentisme chauvin et finalement raciste, qui n’a vu dans les révolutions bourgeoises que la misère et le mensonge bourgeois, sans voir leur côté subversif, l’histoire ne s’est pas encore arrêtée. Le Rapport a montré, chiffres en mains, la formidable augmentation numérique du prolétariat du Tiers Monde qui a suivi la maturation du capitalisme dans les continents « arriérés » ; en effet si les 50 % des ouvriers d’usine étaient en 1917 constitués d’européens, ceux-ci ne sont plus aujourd’hui que 25 %, tandis que le Tiers Monde en fournit 33%. L’Asie, rien que du Japon aux Indes, compte aujourd’hui plus de prolétaires d’industrie que la vieille Europe (sans compter la Russie). En outre cette classe ouvrière est d’une puissante vitalité, comme le montrent les luttes en. Amérique Latine, mais aussi au Proche Orient, en Inde, et jusqu’en Chine. Surtout, cette classe ouvrière trouve le champ libre pour sa révolution, en particulier là où, comme en Asie, sont nés des États gigantesques qui poussent des forces sociales immenses à converger vers une unique forteresse étatique et contre elle.

Mais ce qui est encore plus important, c’est qu’aujourd’hui le front de classe qui hier encore avait une légitimité pour les besoins de la lutte révolutionnaire antiféodale et anticapitaliste, n’est plus évoqué que pour la défense de l’économie nationale et de la production, et perd toute justification historique, en poussant la classe ouvrière à se séparer de la bourgeoisie sur le terrain de la lutte de classe,  phénomène qui naturellement ne peut se développer pleinement qu’en liaison avec le parti de classe.

Le Rapport a ensuite rappelé la situation politique du prolétariat du Tiers Monde, qui sort de la vague d’indépendance avec une forte combativité sociale rendue plus aigüe par la crise capitaliste, ce pourquoi il se pose d’urgence le problème de de la constitution d’organismes immédiats indépendants de la bourgeoisie, et de la conquête, dans leur lutte contre l’État bourgeois, d’une liberté de mouvement politique.

Le Rapport a enfin montré qu’il a été impossible pour la vague anticoloniale d’assurer le moindre début de transcroissance en révolution prolétarienne à cause de la contrerévolution stalinienne, et que cela a empêché, comme c’est une loi de toute révolution bourgeoise, déjà reconnue par Engels et Lénine, la réalisation conséquente par les révolutions anticoloniales même des « conquêtes bourgeoises minimes », en dépit de tous les champions de la révolution par étapes.

Le phénomène a été amplement développé en retraçant un tableau des tâches bourgeoises encore à accomplir dans les domaines de la lutte contre l’oppression nationale, de l’agriculture, et de l’oppression de caste, religieuse etc., dans les aires et sous-aires du Tiers Monde, tableau qui pourra être mieux présenté dans le compte-rendu plus court qui devra paraître prochainement dans notre revue théorique.

Le Rapport s’est terminé en rappelant que, si la perspective du marxisme est depuis 1848  la révolution, dans les aires de jeune capitalisme celle-ci se prépare non seulement en avançant les exigences de la lutte anticapitaliste, mais en s’appuyant sur les restes de tâches bourgeoises, dont la persistance n’est pas pour nous une raison de condamner le prolétariat à servir de claque à la bourgeoisie, mais une raison de plus pour envoyer cette dernière au plus tôt dans la fosse commune de l’histoire.

                                               (D’après il programma comunista, n. 23 /1979)

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