CE QUI DISTINGUE NOTRE PARTI: La ligne qui va de Marx à Lénin, à la fondation de l'Internationale Communiste et du Parti Communiste d'Italie (Livorno, 1921), à la lutte de la Gauche Communiste contre la dégénerescence de l?Internationale, contre la théorie du "socialisme dans un seul pays" e la contre-révolution stalinienne, et au refus des froints populaires et des blcs partisans et nationaux; la dure uvre de restauration de la doctrine et de l'organe révolutionnaires au contact de la classe ouvrière, en dehors de la politique personnelle et électoraliste.


« Je ne suis pas marxiste »

(Karl Marx)

En tant que matérialistes, nous savons que la langue est une superstructure, en rapport dialectique avec le mode de production qui la détermine et l’exprime. Nous savons aussi que dans une société de classe l’idéologie dominante est l’idéologie de la classe dominante, que la langue y est plongée, donnant une voix à ses caractères fondamentaux, aux divisions et aux rapports de pouvoir, et contribuant ainsi à son tour à influencer l’ensemble de la société.. Dans notre présent (celui d’un capitalisme arrivé à sa phase suprême, impérialiste), l’individualisme, qui a toujours été un des aspects de l’idéologie bourgeoise, rattaché directement à la façon de produire et de consommer, imprègne toujours plus la langue et, à travers elle, tout l’univers des rapports sociaux.

Ainsi, nous utilisons couramment le terme de « marxisme », tout en sachant qu’en réalité il est impropre (comme le déclare fermement la fameuse exclamation de Marx citée ci-dessus) et qu’il vaudrait mieux utiliser l’expression de « matérialisme dialectique » ou de « communisme ». Mais l’usage, les conventions et la facilité d’emploi ont pris le dessus, et il n’y a là rien de mal, à condition que… à condition que l’on comprenne bien le sens de cette exclamation, qui ne veut rien dire d’autre que le refus (de Marx et des communistes conséquents) de considérer le grand travail accompli par lui-même (ainsi que par Engels et par les nombreux militants plus ou moins anonymes, qui ont œuvré, alors et par la suite, pour la révolution communiste) comme le fruit de la pensée géniale d’un seul cerveau, comme une « interprétation du monde » réalisée par un énième philosophe.: « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, il s’agit de le transformer » (11ème Thèse sur Feuerbach) : cette phrase n’est pas un banal slogan, elle signifie qu’avec l’apparition sur la scène de l’histoire de la science matérialiste, nous ne sommes plus en présence de « systèmes philosophiques » qui peuvent à bon droit emprunter la nom de tel ou tel penseur ou fondateur d’écoles de pensée (platonisme,, aristotélisme, thomisme, kantisme, hégélianisme, etc.), justement en tant que « interprétations du monde personnelles » : nous sommes en présence, justement, d’une

science qui a été découverte et élaborée par le concours de facteurs socio-historiques bien plus vastes et complexes que la cervelle (certes de remarquables proportions) de celui qui matériellement la découvre, la fouille, l’expose et la diffuse.

Nous ne nions pas, dans certains moments historiques, l’apport exceptionnel des individus : Marx, Engels, Lénine, Bordiga… Mais nous refusons de caractériser cet apport comme un apport personnel, comme si le matérialisme historique était une construction de Légos à laquelle chacun pourrait ajouter sa propre petite brique individuelle et « originale ». C’est pourquoi nous refusons (justement à cause de ses exécrables implications révisionnistes) l’expression de « marxisme-léninisme » : Lénine lui-même aurait pu s’écrier, comme Marx, « Je ne suis pas marxiste-léniniste ! », parce que cette expression pue à plein nez l’individualisme bourgeois, piétine ce qui est le cœur-même de la conception matérialiste de l’histoire, renverse et méconnaît le rôle de la personnalité dans l’histoire, attribue à l’individu x le rôle d’élaborateur de conceptions qui « intègrent » ce qui a été « pensé » originellement par l’individu y – justement d’autres petites briques intégrables dans une construction en cours, à laquelle les individus peuvent donner leur éclectique apport. Ce n’est pas hasard si le « marxisme-léninisme » (et nous ne parlons même pas du « marxisme-léninisme-penséeMaotsétoung » !) sera l’expression politico-linguistique de la contre-révolution en cours, puis triomphante, qui est un phénomène enraciné de façon matérialiste dans l’histoire des luttes de classe et non pas le fruit de l’action des individus : cette contre-révolution qui bouleversera le mouvement communiste international à partir de la moitié des années 1920, et que, justement à cause des conditionnements linguistiques dont nous parlions ci-dessus, nous sommes « obligés » d’appeler « stalinisme », pour aller vite et en l’absence d’une autre définition synthétique (nos camarades des années Trente et Quarante utilisaient l’expression de « centrisme » : mais aujourd’hui cette expression serait incompréhensible)...

A plus forte raison, nous refusons l’étiquette qu’on nous colle de « bordiguistes », et ce pour toute une série de raisons. Loin de méconnaître l’énorme apport donné par Amadeo Bordiga pendant toute sa vie, nous savons (et nous le revendiquons contre tous les « biographes » bourgeois) qu’il s’est agi d’un travail de parti, et non d’une élucubration de « penseur isolé » : il s’est agi de la transmission, fondée sur une base théorique de granit, de toute une expérience historique – et d’un militant qui a toujours affirmé le caractère impersonnel de la doctrine et de la pratique, en lui obéissant aussi alors que les compliments pouvaient pousser dans une autre direction – un militant anonyme, qui avait adopté une doctrine impersonnelle, pour une cause qui allait bien au delà des individus et des générations. Bordiga et le travail collectif pour le parti réolutionnaire sont inséparables. De plus cet énorme travail de restauration théorique a été rendu possible non seulement par le fait qu’il était un travail collectif de parti, dont Bordiga était, si l’on veut, la pointe de diamant, mais aussi par la défense de la continuité politique et organisationnelle opérée par les militants, actifs à l’étranger et clandestins en Italie, au cours des années Trente – défense qui a permis au cours de la décennie suivante, que se réunissent des forces (pas toutes homogènes sur le plan théorique) qui devaient, par sélection, donner lieu à la naissance de notre Parti en 1952. A nouveau, donc, une expérience collective, anonyme, impersonnelle celle du travail commun de militants unis par leur finalité historique, un travail orienté vers la renaissance du parti révolutionnaire.

Cependant ceci ne suffit pas. Nous ne sommes pas « bordiguistes », parce que le travail accompli par Bordiga (restaurer et reproposer intégralement la théorie « marxiste » après les monstrueuses dévastations opérées par la contre-révolution, et œuvrer pour la réaffirmation du parti révolutionnaire) ne peut en aucun cas être considéré comme un ajout, un « nouvel apport », une « nouvelle interprétation », une « variante particulière » du marxisme (ou, comme le disent les intellectuels bien payés et affectés d’une hypertrophie du Moi , des... « marxismes » : justement !). Bordiga a été un instrument très efficace, « la splendide machine » – comme nous l’écrivions sur ces pages dans l’article consacré à sa mémoire – par laquelle passait « le courant à très haut potentiel du marxisme ». Et nous continuions ainsi : « nous disons marxisme comme nous, la Gauche, l’avons toujours compris : non une théorie abstraite et précieuse devant laquelle s’incliner quotidiennement comme des curés, mais une arme brillante et acérée dont on ne doit jamais lâcher la poignée, c’est-à-dire la direction vers le but, et à laquelle nous sommes prêts, pour qu’elle ne se perde pas dans les abîmes de la défaite, à tout sacrifier, avant tout l’ignoble soi-même, de même que pour bien l’utiliser au plus fort de la bataille, il est nécessaire de détruire les faiblesses, les misères, les vanités, les stupides orgueils, le misérable « livre de comptes » de l’individu, pour sauver ses potentialités saines ou même précieuses ans l’intérêt de la ‘classe-parti’ » (« En mémoire d’Amadeo Bordiqga,. Une lutte exemplaire au service de la révolution », Il programma comunista, n° 14/ 1970). Bordiga n’a ni ajouté ni modifié une virgule à la doctrine monolithique née au milieu du XIXème siècle, quand les conditions pour cela étaient mûres parce que le mode de production bourgeois avait tout donné et tout dit de lui-même, une doctrine vérifiée expérimentalement (théorie et pratique) au cours des 150 années suivants à travers quelques victoires étincelantes et beaucoup de défaites sanglantes : au cœur de la contre-révolution, il a su rester à son poste et rassembler autour de lui de nouvelles générations de militants, le parti.

Nous laissons donc à d’autres la mesquine idolâtrie pour l’« individu » et nous ne nous préoccupons pas non plus de l’ironie hautaine (ou bien de l’ignorance arrogante, du mépris hargneux, de l’écoeurante calomnie) à l’encontre d’« Amadeo Bordiga » et des « bordiguistes ». Conscients d’appartenir à une génération de militants qui a affronté et affrontera des problèmes et des devoirs différents, nous continuons le même travail dans des conditions différentes : parmi des erreurs, des insuffisances et des incertitudes, mais toujours de façon anonyme, impersonnelle et collective. Des militants communistes, cela suffit.

 

 

                                                                       (Il programma comunista, n° 6/2013)

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